lundi 22 août 2011

Harmonie

Guillermina Suggia, première épouse de Pablo Cazals

LE VIOLONCELLE

En cette salle haute et ronde
… sombre
Je te vis belle et blonde

Cette robe de soie mauve
… ombre
Le teint pâle et rose

Le  vieil instrument acajou
… tropical
Enserré par tes genoux

Les cordes dures et vibrantes
 … musicales
Enlaçant tes membres

Petite fugue ample et douce
… escale
 De Trieste à Saint-Petersbourg

© Philippe Vandenberghe





Le temps qui passe


AU BOUT DU QUAI

Bonjour, je m’appelle Hadrien Zoll… et j’ai des choses à déclarer. Oui je sais c’est un drôle de nom. Je suis alsacien mais je suis surtout français.
Marie Rose – c’est ma femme – me dit toujours : « Hadrien heureusement que tu n’habites pas de l’autre côté ». C’est idiot ce qu’elle dit car de ce côté ci, en France tout le monde sait que Zoll veut dire douane.
Cela aurait en plus été vraiment bête que je travaille au service des douanes ; mais non, je travaille depuis vingt sept ans à la SNCF et cela un peu avant notre mariage. Remarquez, c’est une gare frontière et notez bien que j’ai deux collègues douaniers dont le petit bureau se trouve ici, contigu à la gare.
C’est marrant, mes collègues s’appellent Helmut Wolf et Hans Voss. Mais ici en Alsace je trouve cela plutôt normal. Vous allez rire ils s’entendent comme chien et chat ou plutôt comme loup et renard.
De toute façon, ils n’ont jamais rien à contrôler.

Moi, ici à la gare, je suis seul pour faire tout le travail administratif : vendre les tickets, contrôler les arrivées et les départs, remplir des bordereaux, des statistiques et tout plein de papiers qui ne servent sans doute à rien.
Marie Rose – c’est ma femme – entretien la salle des guichets, les toilettes et le bureau.
Les deux quais et les carreaux c’est pour moi. Elle est jolie notre gare de Trockenweiller.
Tard dans la nuit, je m’assure aussi que le convoi de vingt trois heures trente passe bien avec ses quinze ou seize wagons de minerais à destination de la Lorraine.
En fait, il n’y a que deux départs et deux arrivées par jour, le matin et le soir. Vous vous en doutiez certainement. Et en plus, il n’y a jamais de voyageurs ou si rarement. Juste de quoi remplir la moitié d’une Micheline ; et encore !
C’est le bout du monde ici.
Alors je passe une partie importante de mon temps à jardiner.

Au printemps, Marie Rose – c’est  ma femme – et moi nous remplissons les nombreuses jardinières de la gare avec de beaux géraniums et des pétunias à profusion.
Chaque année je garni aussi le parterre de l’horloge. Il y a bien des années qu’elle ne fonctionne plus cette horloge. Je ne me souviens d’ailleurs pas l’avoir jamais vu fonctionner. Pour ce parterre, je laisse aller mon imagination et je rajoute des petits bégonias, des coléus et des plants de tabac décoratifs et enfin quelques belles plantes de ricin aux grandes feuilles joliment découpées. Cette année Marie Rose – c’est ma femme – m’a dit : « Hadrien les ricins c’est trop haut comme plantes pour ce parterre ». Mais c’est idiot ce qu’elle me dit puisque les aiguilles de l’horloge ne fonctionnent plus. Les plantes ne risquent rien.

Deux fois par an, une équipe de trois ou quatre manœuvres vient ici à la gare pour entretenir les voies, les aiguillages et les différents feux de signalisation. Ils remuent quelques cailloux, retendent les caténaires, remplacent quelques traverses  et s’en vont après deux semaines de dur labeur entrecoupées d’un verre de riesling bien frais ou d’une « vielle prune » préparée par Marie Rose – c’est ma femme.
Durant ces deux semaines, ils logent dans deux vieux wagons en bois qui datent encore de l’empire austro-hongrois.
Ces wagons sont garés sur une desserte dont les rails sont tout rouillés. La voie est envahie d’herbes folles, de serpolet et de menthe sauvage.
Le surveillant de l’équipe est un ingénieur de Metz qui loue une chambre à l’hôtel de la gare. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment un hôtel ; c’est plutôt une petite pension et elle est tenue par la vieille Yoanna Herberg. Je crois que Monsieur l’ingénieur est un des seuls clients qui lui reste à la vieille Yoanna.

Marie Rose – c’est ma femme – me disait encore ce matin : « Hadrien il ne se passe jamais rien à Trockenweiller ». Mais c’est idiot ce qu’elle dit car il passe quand même quatre trains de voyageur par jour au village et aussi le train de marchandise de vingt trois heure trente. C’est vrai que celui là ne s’arrête pas.
Et puis je ne l’ai pas encore dit mais le samedi soir à l’hôtel de la gare avec Helmut et Hans nous jouons au jass, une espèce de tarot, mais bien de chez nous.
Ils se disputent toujours ces deux la. Pourtant nous aimons bien nous retrouver ensemble autour du Godin dans lequel ronronne un plein seau de charbon.
Quand le ton monte trop la vielle intervient sinon elle bavarde avec Marie Rose – c’est ma femme.
Si l’équipe d’entretien est au village elle devise volontiers avec  Monsieur l’ingénieur.
La vie est calme et agréable à Trockenweiller.

Aujourd’hui la journée s’est déroulée comme à l’habitude. Sauf que l’équipe d’entretien est partie au train du soir. Retour à Metz.
C’est dommage, je n’ai pas pu dire au revoir à Monsieur l’ingénieur.
Quand j’ai fermé la salle des guichets, je n’ai pas vu Marie Rose – c’est ma femme.
A vingt et une heures, je ne l’ai trouvé nulle part. Elle n’est pourtant pas grande notre gare.
Je suis allé faire un saut à l’hôtel de la vieille Yoanna où j’ai croisé Helmut et Hans qui m’ont dit : « mon pauvre Hadrien, tu es un idiot, voilà qu’il se passe enfin quelque chose à Trockenweiller » et ils se sont mit à rire méchamment.
Moi je les ai trouvé bête mais alors j’ai compris que je n’avais plus rien à déclarer et je suis retourné dans la gare et j’ai attendu le train de vingt trois heures trente, au bout du quai près du parterre de l’horloge en regardant vers la Lorraine… en direction de Metz.

Je ne me souviens plus l’avoir entendu passer le vingt trois heures trente. D’ailleurs je ne me souviens plus de rien.

Bonjour, je m’appelle Jacques Verdier, je suis natif de Nanterre et j’ai été nommé chef de gare à Trockenweiller. J’ai remplacé l’ancien chef qui, il y a quelques mois, a eu un triste accident au passage du train de vingt trois heures trente.
Je compte me marier dans quelques semaines avec Yvette – elle sera bientôt ma femme.
C’est joli ici, c’est calme, il ne se passe jamais rien à Trockenweiller.
Yvette – ce sera bientôt ma femme – et moi serons heureux.

© Philippe Vandenberghe