dimanche 30 décembre 2012

Délicieuse et mortelle cruauté?


RIXE SIAMOISE

Kungfu était confusément confussianiste
Mais Tchéo était terriblement taoïste
Ils étaient à couteaux de soie dégainés
Mais quand il faut boire le saké c’est qu’il est tiré

Donc au pays du soleil tirant
Kungfu et Tchéo du téton tétaient le thé
De part et d’autre de la muraille géante
Ils se maudissaient d’anathèmes vertbridés

Une siamoise un peu garce, un jour vint à passer
Une jeune et jolie culottée mandarine
Qui de ces deux compères perturba le ying.
Ils s’engagèrent alors dans un duel très serré

La rondelette nacrée promise au beau vainqueur
Son petit pied prude posé sur son pal
Crut son septième ciel arrivé pour enfourcher le cheval
Mais le perdant rageur fit voler son petit coeur

D’un coup de sabre, il trancha la natte, la belle,
Le destrier et s’embrocha tout de go
Pour crever sur le damier.
Trois méchants personnages ne peuvent que se massacrer
Et le sang répandu traverser le panier
 
 © PhVdb

Ecrit il y a quelques temps mais mit en lumière par un dossier sur Georges Bataille que je viens de redécouvrir dans un ancien numéro du “Magazine Littéraire”


"J'ai volontairement enlevé la "célèbre" photo qui fascinait tant Bataille. Ce n'est pas un acte de censure personnel mais plutôt du respect pour les personnes que cette image "sidérante" peut provoquer de souffrance chez le lecteur. La cruauté objectivée dans cette image est-elle soutenable; est-elle utile? Michel Foucault s'interroge dans son livre: "Le droit de punir" sur la justification par le pouvoir à travers l'histoire que la royauté (de droit divin) avait de faire voir le châtiment infligé aux criminels. La question reste ouverte!"

« La célèbre photo » du supplice chinois des "cent morceaux" a eu une importance fondamentale dans la vie de Bataille. Cette photographie figure, avec quatre autres clichés, dans les dernières pages du dernier livre que Bataille a publié (un an avant sa mort en 1962) : "Les larmes d’Eros".
Bataille l’affirme : "cette" photographie est en sa possession depuis 1925, elle le mène à l’extase en 1938. Les interprétations qu’en fait Bataille évoluent.
Dans "L’Expérience intérieure" on peut lire :
« Le jeune et séduisant chinois dont j’ai parlé, livré au travail du bourreau, je l’aimais d’un amour où l’instinct sadique n’avait pas de part : il me communiquait sa douleur ou plutôt l’excès de sa douleur et c’était justement ce que je cherchais, non pour en jouir, mais pour ruiner en moi ce qui s’oppose à la ruine. »
Dans "Le coupable", publié en 1944 mais rédigé de septembre 1939 à octobre 1943 :
« Je suis hanté par l’image du bourreau chinois de ma photographie, travaillant à couper la jambe de la victime au genou : la victime liée au poteau, les yeux révulsés, la tête en arrière, la grimace des lèvres laisse voir les dents.
La lame entrée dans la chair du genou : qui supportera qu’une horreur si grande exprime fidèlement "ce qu’il est", sa nature mise à nu ».
Voici la conclusion, "l’inévitable conclusion", des Larmes d’Eros :
« J’imagine le parti que, sans assister au supplice réel, dont il rêva, mais qui lui fut inaccessible, le marquis de Sade aurait tiré de cette image : cette image, d’une manière ou de l’autre, il l’eût incessamment devant les yeux. Mais Sade aurait voulu la voir dans la solitude, au moins dans la solitude relative, sans laquelle l’issue extatique et voluptueuse est inconcevable ».

mercredi 19 décembre 2012

L'hapax existentiel?


Ces quelques roses

Pour toi dame blanche, âme noire
Pour toi dame noire, âme blanche
Ces quelques boutons de roses
Ces quelques épines que j’ose
Des griffures de l’âme
Des larmes de pudeur
Des blessures dans mon cœur
Où est la raison
Où sont les saisons
Là où tu es sans moi
Je t’offre mon souffle de vie
Là sous quel toit
Où es-tu ma belle mie
N’aurions plus rien à dire ?
Pourtant les pétales sont belles
Les couleurs étincellent
La fleur est réelle
Je te les offre depuis si longtemps
Je te les offre encore
Je te les offre depuis toujours
Je croyais t’écouter
Est-ce que je me suis trompé ?
Qui es-tu ? Pourquoi ?
Où est la confiance ?
Guéris moi
Prouves moi
Approches toi
Embrasses moi, encore et encore

Une date indéterminée.

© Philippe Vandenberghe

Le choc, le chagrin et la délivrance d’un « hapax existentiel ». Le moment dans la vie où tout bascule, la lumière blanche au bout du tunnel de la mort, vécue avant le néant. L’Hapax tel Saint Augustin dans son jardin à Milan, Montaigne et sa chute de cheval, Pascal et sa nuit de feu, Nietzsche et sa vision du Surlej, Valéry à Gênes et d’autres, bien d’autres !
Basculement des voiles déchirés et l’aveugle vit ce que le voyant ne voyait plus.


(c) Extrait du film Matrix

mercredi 24 octobre 2012

Oedipus Rex

Autoportrait de Gustave Courbet

« Sigismund dort.
Et moi je soliloque sur son vieux divan pourri.

Ce matin encore, Sigismund dort.
Son vieux divan pourri est recouvert d’un cachemire miteux.
Depuis des années, trois fois par semaine, Sigismund dort.
Et moi j’empile les briques toutes les nuits, une par une, une par nuit sur la précédente.
Après chaque brique je me masturbe, doucement, plus vite, frénétiquement en hurlant et Sigismund dort.
Alors ce matin (comme tous les matins) j’ai pris mon cachet de Zuclopenthixol 200mg ; je vais encore avoir des suées et des nausées.
Mais sur son divan pourri, ça passe.

Alors ce soir je vais prendre mes cachets de Lormetazepam 30mg et  mes gouttes de Tranxene 20mg par 2ml. Je prends 6 gouttes, parfois 9 sans rien dire à personne, sauf à Sigismund ; mais il dort.
Ça ne va pas m’empêcher de me masturber, je m’en fous, demain Sigismund dormira.
Cette nuit, la colombe est venue se poser sur mon mur.
Toutes les nuits elle vient se poser sur mon mur, sur la dernière brique que je viens de poser, après m’être masturbé.
Après, je m’endors enfin.

Le matin, après avoir prit mon cachet de Zuclopenthixol 200mg, la colombe s’envole et je ne la vois plus de la journée.
Sigismund le sais, je crois, mais comme il dort, il n’y attache sans doute pas beaucoup d’importance.
Mais moi je l’aime ma colombe, elle est aérienne et liquide, elle vole autours de moi. Elle me protège en coulant sur moi toutes les nuits de ses ailes courbées.

Aujourd’hui, merde, ma vésicule fait encore des siennes. J’ai pris rapidement mon cachet de Cantabiline 200mg. Parfois je prends de l’Hebucol 200mg. Vous n’allez pas me croire mais c’est du jus d’artichaut.

Vous voyez, je protège bien mon mur de brique.
Et chaque nuit il monte d’une brique et la colombe vient s’y poser.
La terre a besoin de semence. Je dois la fertiliser toutes les nuits, alors la colombe est heureuse.

Et Sigismund dort… Je crois que je vais le tuer, pour qu’il dorme pour toujours ; je vais verser un flacon, que j’ai piqué à l’hôpital, de Sufentanil Mylan de 10µg par 10ml dans sa cruche d’eau en cristal de Bohème. C’est radical !»

« Voilà Monsieur de la Montagne Vermeil, cela fera 150 €. A mercredi pour notre prochaine séance. »
« Tien Docteur Duerf, vous ne dormiez pas ? »
« Mais non mon bon Monsieur de la Montagne Vermeil. Au revoir Monsieur de la Montagne Vermeil et à mercredi. »
« Au revoir Docteur Duerf, je me sens bien léger. »

(Quel imbécile ce Monsieur de la Montagne Vermeil, il ne connaît pas l’attention flottante)

Vaticination sur le « Crépuscule d’une idole ou l’affabulation freudienne » de Michel Onfray, Grasset 2011.
© Philippe Vandenberghe


dimanche 12 août 2012

Nos premiers émois!

D'après Botticelli

A une femme aimée et disparue

Ton visage s’est effacé sur une île
Et du turquoise, tu aimais cette mer d’Italie
Pourtant au carré noir des Médicis
Nous pouvions encore admirer les couleurs d’Isis.

Deux fois l’Achéron franchi
Et surmontant ton chagrin du dernier outrage subi
Je vois toujours ton doux visage rosi
Nous pouvions encore gloser de Nerval et Leiris.

Dans ce labyrinthe, que d’éclats de rire
De jeux, de chants mozartiens et de joyeux cris
Pourtant déjà tes cauchemars créaient le repli
Et le sourire de la belle florentine dessinait le pli.

Encore ce souvenir me rajeunit
Sur quelques photos et dessins déjà jaunis
Quelle pudeur nous a fait brouiller les pistes ?
Et pourtant de nos yeux oubliés l’éclair a pâli. 

© Philippe Vandenberghe, le 11 août 2012

Hommage à Gérard de Nerval, poète par passion, écrivain par mélancolie, fou et mort de désespoir dont la pythie s’est échappée en jetant des cris de douleur ;

« Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ces habits anciens
Que, dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue – et dont je me souviens… »

Merci à ma "petite soeur" de m'avoir remis en mémoire cette passion d'adolescent...


jeudi 2 août 2012


 Il n'est pas dans mes habitudes de commenter des évènements qui me touchent au plus profond de moi-même et qui relève de mon intimité, mais un très beau texte du blog "Respectivement.be" m'a poussé à réfléchir à des questions oh combien cruelles!
Les chemins de traverses dans lesquelles nous nous engageons parfois, m'ont donné la chance (sic) de rencontrer à plusieurs reprises deux personnes à qui je dois rendre un hommage ému, car, quand je les ai rencontré ils vivaient déjà depuis des années avec des blessures inguérissables, il s'agit de Jean Denis Lejeune et Francis Brichet.

Je reproduis donc mes réflexions parues dans le blog "Respectivement.be" in extenso!

"Tous ne sont pas des loups… et réagir aux évènements anciens ou récents peut être sujet de trouble, de malaise, d’angoisse et souvent de questionnement sans réponse. Ainsi en est-il pour moi du cas abordé par ce « post ».
En toute chose je reste « légaliste », viscéralement légaliste.
Mais pour Michèle Martin, dont j’accepterai toute décision prise à son égard, je me suis interrogé sur elle et puis sur moi-même; étonnant, non?
Pourquoi?
Je n’ai pas eu et je n’ai pas une vie qui m’a traduit devant les Tribunaux, mais comme beaucoup de mes semblables j’ai vécu des évènements qui m’ont perturbés, qui m’ont parfois blessés, parfois meurtris et… dont je ne parle pas, dont je suis dans l’incapacité de parler. Le SILENCE! Parce que c’est de ça qu’il s’agit. Et donc j’essaie de comprendre pourquoi Michèle Martin est restée silencieuse sur l’indicible dénouement de la mort d’enfants dont elle a contribué et collaboré à l’agonie (et qu’elle a avoué en grande partie). C’est donc ce silence qui nous trouble, qui nous choque, mais c’est aussi ce SILENCE qui est l’obstacle infranchissable; pour elle, pour moi, pour nous tous.
Car le SILENCE est un mauvais moyen pour s’imaginer que tel évènement N’A PAS EU LIEU!
L’histoire nous a apporté son lot de silences sur les actes monstrueux que « les loups » ont infligés aux innocents! Ne l’oublions pas, même si c’est incompréhensible.
"

Philippe ce jeudi 2 juillet 2012

mercredi 4 avril 2012

Rue du Ham

Septembre 1952, dernière photo au Congo avant de rentrer en Belgique
1953

A l’âge de deux ans et demi, mes souvenirs vont apparaîtrent plus nombreux, plus colorés, plus cinétiques, plus sonores.
Ils vont se multiplier et construire une histoire qui va durer jusqu’à l’âge de quatre ans.

Un décor simple et baignant dans la pénombre va me faire office d’horizon, des objets banals, un pot de confiture à la forme arrondie, comme le noir et brillant poêle de Ciney qui ronronnait dans la pièce.
Une chaleur intime et chaude d’un rougeoiement visible à travers des petites vitres en mica moiré et fendillé.
Attirance du feu, de ce ronronnement doux et vrombissant à la fois. Confort douillet du charbon brûlant dans le foyer, blocs mystérieux et noir qui noircissent les doigts, quand l’enfant que je suis, en chipe un morceau dans le beau seau en cuivre qui se trouve à coté du poêle.

Dans un coin, mon lit, univers clos et intime de barreaux facilement franchissables mais combien protecteurs.
Ma petite grotte à moi, joyeux troglodyte curieux de tout et surtout de rien.

Trois visions fortes me traversent l’esprit, trois réalités mal ou non comprises car non connues d’un enfant de trois ans.

La charrette du boulanger encore tirée par un cheval; bel animal doux et fort, à la couleur brune et aux pattes grise de la poussière de ce qui était encore parfois des chemins.
Le beau brabançon placide arrêté au bord du trottoir ruminant sans cesse une poignée d’avoine jetée parcimonieusement dans un sac en cuir pendant à son cou.
Une charrette que je su plus tard être de “L’Union Economique”

Un passage régulier mais dont je ne puis plus déterminer la fréquence d’un camion à ordures.
Un véhicule effrayant garni d’un énorme tambour bruyant et suivit d’hommes pressés et hurlant, navigant d’un côté à l’autre de la rue et que j’admirais avec un intérêt teinté d’effroi.
Un véhicule vert de gris coulant d’énormes salissures brunes et noires et au capot bringuebalant.

De la fenêtre, debout sur le divan (ce fameux divan brun) un autre spectacle.
Un cortège étrange, de femmes et d’hommes marchant cérémonieusement et si lentement derrière un corbillard garni de quelques rares fleurs et tendu d’un voile violet et orné de plumeaux noirs.
Une incompréhension face à la réalité de l’évènement mais déjà la perception d’un moment grave.
Premier contact avec la mort sans prendre conscience de la disparition d’un être cher car à cet âge le présent est indestructible.

C’est aussi le tramway tintinnabulant sur ses rails.

C’est aussi les attentes curieuses à l’épicerie de madame Moraux et ma fascination pour l’énorme montagne de beurre trônant sur le comptoir et que la magicienne des lieux découpait avec un fil en métal pour disposer délicatement le morceau pesé sur un carré de papier sulfurisé craquant d’un entrelacs de jolis plis blanchâtres comme un batik des mers du sud.

C’est aussi la découverte étonnante et joyeuse que maman et papa avaient de la famille.

Ah la famille! (Je ne pouvais savoir les chagrins qu'elle engendrerait plus tard)
Quel plaisir! Des cousins, cousines, des oncles, des tantes, des grands parents, encore des grands oncles et des grandes tantes. Des gens bizarres, amusants, drôles ou effrayants.
Premiers effrois d’enfants devant un personnage hiératique à la robe noire, au menton rêche que l’on n’ose embrasser. Cette arrière grand mère silencieuse, assise sur sa chaise.
Tous ces gens m’interpellant; ils sont grand.
Qu’est ce qu’ils me veulent, ils rient, ils sont bruyants.
Premier et dernier refuge dans les robes de maman ou derrière les jambes de papa.

Voilà quatre années bien remplies – toute une vie – je suis je, je suis moi, je, tu, il,
nous, vous, ils.
Maintenant peut commencer la grande aventure.

1 an et demi de ma vie sans photos, sans témoignages de la rue du Ham à Uccle.

(c) Philippe Vandenberghe

mercredi 21 mars 2012

Dieu est mort lors du "Big Bang"


Holocauste

Il y a quelques années mon fils et moi avons visité deux lieux de mémoire de la guerre 40-45. Il s’agissait, dans le cadre d’une visite de groupe organisée par une grosse structure syndicale, de prendre conscience de l’horreur et des atrocités qui menacent encore et toujours notre fragile démocratie.

Vous vous en doutez, amis belges, le premier lieu de mémoire fut le fort de Breendonk.
Ce camp de transit et d’enfermement de détenus politique, pour la plupart, était l’archétype de la cruauté absurde que peut infliger des hommes à d’autres hommes. Curieusement Beendonk, dans ce sentiment d’oppression et de profonde révulsion laisse planer un espoir.
Un espoir, car il symbolise un jeu pervers de destruction et de reconstruction dont l'humain sort gagnant.
Des brutes s’y sont prit de mille façon pour réduire l’homme au statut de bêtes et les gardiens se complaisaient à faire creuser, combler, recreuser, recombler encore et encore des fossés inutiles et dont on peut voir encore aujourd’hui les traces éclatantes de la bassesse humaine.
Une galerie de portraits des tortionnaires écoeurante, mais surtout les témoignages des efforts fournis par les prisonniers pour garder une humanité solidaire sont poignants.
Curieusement tout cela reste à peu près supportable.

Mais en arrivant à la caserne Dossin à Malines, il en va tout autrement.

La caserne Dossin était un centre de regroupement des juifs raflés en Belgique avec la complicité évidentes des autorités de la Belgique occupée. Ensuite, de cette caserne équipée d’une sinistre gare, s’ébranlaient les trains vers les camps d’extermination.
Ce très beau mémorial en souvenir des juifs disparus dans l’holocauste présente d’abord les souvenirs heureux et pathétiques d’une population laborieuse et souvent pauvre d’avant guerre.
La symbolique des couloirs de la mort, avec ses témoignages douloureux, est bien plus dur et le silence se faisait de plus en plus en plus oppressant tout au long de la visite au sein de notre groupe.
Mais le point d’orgue de cette visite se situe dans la dernière salle.
Petite salle de projection où une voix « off » mais bien réelle raconte le retour miraculeux d’un père juif dans sa maison d’Anvers après sa libération du camp.
Le vieux monsieur raconte en mots simples, émus et plein de tristesse tragique sa vie « d’avant », son retour et l’arrivée dans ce qui était sa maison et revoit dans le couloir d’entrée les deux vélos de ses petits garçons qu’il ne revit jamais.

Le groupe… mon fils, moi-même avons pleuré ; en silence, avec pudeur, sans pouvoir dire un mot.

© Philippe Vandenberghe

Hans Jonas (1903-1993) inspiré par Rabbi Isaak Luria (1534-1572) : « Dieu renonce à sa propre divinité ayant pour conséquence son impuissance. C’est la brisure des vases, dans le scénario cosmologique de Luria, censés retenir les parcelles de divinité. Cette réparation incombe à l’homme. L’homme doit ainsi dire aider Dieu ».
In : Hans Jonas « Le concept de Dieu après Auschwitz » 1994 © Payot
Paul Ricoeur (1913-2005) : « La mort en histoire a la charge des morts de jadis dont nous sommes les héritiers. L’opération historique tout entière peut alors être tenue pour un acte de sépulture (…) Le travail de deuil sépare définitivement le passé du présent et fait place au futur ».
In : Paul Ricoeur « La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli » 2000 © Seuil


   23705 juifs sont partis de la caserne Dossin à Malines et ont péris dans les camps de la mort.

lundi 20 février 2012

Au fond!


Rendez-vous avec l'histoire.

Nous sommes habitués à croiser l’histoire dans les livres, poussiéreux parfois, passionnants souvent. Mais croiser l’histoire quelques soirs d’automne dans un bordel d’Anvers, ou plutôt un établissement de passe… et de repasse, voilà qui est plus étonnant.

« Gunther Ping »

C’est lui, ce Gunther Ping, l’histoire que j’ai croisée dans les années 70.

J’avais un peu plus de vingt ans, élève à l’école d’artillerie de Brasschaat. Certains soirs nous trainions dans les rues glauques d’Anvers. Celles situées derrière la « Vleeshuis » en direction de la "Falconplein" où certains burgemeesters ont éradiqué de leurs trafics interlopes ces rues mal-famées devenues un rien "bobo".

Après avoir déambulés sous la pluie dans le quartier, seul ou avec deux ou trois autres copains on finissait la soirée au « Oude zeeman ». Là, balançant entre timidité et esprit d’aventure nous nous bornions à réinventer le monde avec le tenancier et quelques filles dont une, Marijke, me plaisait bien. Elle me parlait de son village d’Oost-Vlanderen, de son fils, de ses courses à faire pour elle et le fiston et surtout de banalités ; mais elle était gentille et avec son manteau en pied de poule, ses mocassins et son sac à deux sous, elle n’était vraiment pas en « tenue de travail », quoiqu’en dessous dudit manteau, les dentelles joliment échancrées me faisaient rêver certaines nuits de retour à la caserne.

Au fond de la petite salle enfumée à souhait, se trouvait souvent un malabar penché sur un bock de « Palm » qu’il mettait des heures à siroter. Enfin je crois que c’est plusieurs bocks qui défilaient. Gros, gras, massif; après chaque fond de bière, il nous gratifiait d’un « Ping » retentissant et tonitruant puis d'un rôt non moins sonore: « Ach, das krieg ! » criait-il.
Une tête large, rougeaude, le cheveux blond filasse et plus qu’éclairci, une demi brute. Sa veste de cuir noir et sa salopette tachée de cambouis nous indiquaient un boulot de mécanicien et de fait après quelques soirées nous sûmes que Gunther était diéséliste et travaillait à la journée dans les bateaux qui accostaient. Des cargos russes assez souvent, panaméens parfois ou chypriotes.








Entre deux bocks, Gunther nous apprit qu’il avait été sous-marinier dans la Kriegsmarine.
On sentait l’angoisse et les terreurs encore présentes chez cet homme en pleine déchéance.
Dans un mélange d’allemand, de flamand et de français, il nous racontait, par bribes, les heures d’angoisse au fond de la mer. Ce qu’il imaginait déjà être son cercueil, le froid, l’humidité, l’eau croupie et les jambons moisis pendus aux coursives, la puanteur du dégueulis, de la sueur. Le tympan qui vous arrache des cris de douleur pendant le grenadage de l’ennemi invisible.

Et ce « Ping », un son tant redouté, lancé par le sonar ennemi, une angoisse incommensurable.

Encore un bock et « Ping » et un autre et « Ping » ; puis on voyait ses mains massives aux ongles noir graisseux agripper la table et lentement il s’affalait au bas de la banquette.

« Ach das krieg ! »

La vie était finie pour lui, alors Marijke et moi, on se disait au revoir, « een dikke kus voor mijn schatje » et je retournais à la caserne, elle à son carré.
Et voilà comment j’ai croisé l’histoire !

© Philippe Vandenberghe

mardi 7 février 2012

Mon père

Le RMS Lancastria

Souffrir à 15 ans.

On dit souvent que la réalité dépasse la fiction et c’est sans doute vrai, mais la réalité peut être dite par d’autres qui ne l’ont pas vécu. Alors je vais vous la dire cette réalité ; à la place d’un être qui m’est particulièrement cher; mon père.

En juin 1940, papa a 15 ans et après de nombreuses tribulations, drames, visions de cahots  dans une France en déroute, sa mère, sa sœur et lui, arrivent à Préfailles.
Préfailles est alors un joli village donnant sur l’Atlantique, au sud de la Bretagne. Une route qui s’appelle maintenant « Route de la Pointe Saint-Gildas » mène à l’anse du Boucau, qui elle-même fait face à Saint Nazaire. En juin 1940 il fait particulièrement beau et cette pointe sud de la Bretagne fait rêver les gamins à des sports nautiques plus qu’aux tracas de la guerre.

Le soir du 16 juin, le RMS Lancastria quitte Saint Nazaire avec à son bord plus de 3000 soldats principalement britanniques (sans doute beaucoup plus, mais les chiffres sont toujours gardés « secret militaire » jusqu’en 2040). Ils doivent être rapatriés vers la Grande Bretagne suite à la débâcle subie devant les armées du Reich. Ce paquebot de 170 m de long a été lancé en 1922 par la Cunard Line.
Dans la nuit du 17 juin, quatre Junkers Ju 88 bombardent le navire et pour le malheur de ces pauvres soldats, une des bombes pénètre dans la cheminée et fait exploser la salle des machines. Le bateau coule en 24 minutes. Dans les heures qui vont suivre et au gré des marées, 1728 victimes seront rendues par la mer.
La majorité des victimes seront rejetées sur les plages de la Pointe Saint Gildas, mais une centaine sera rejetée sur les petites plages de Préfailles en contre bas des corniches de cette belle station. La municipalité devra alors réquisitionner les hommes, peu nombreux, pour récupérer les dépouilles des soldats morts et les inhumer dans l’urgence. Papa fut de ces quelques jeunes hommes qui durant trois jour vont pleurer en silence en accomplissant cette triste tâche. Des pleurs qui vont le hanter durant des années.

 Quelques rescapés

Le dernier jour, parmi les nombreux réfugiés qui continuaient d’arriver pour descendre sur la Vendée, une Hispano-Suiza venant de La Plaine-sur-Mer s’arrêta aux abords des lieux du drame. La plaque de la voiture indiquait une origine parisienne. La voiture était remplie de bagages les plus divers et à l’arrière du chauffeur une dame bien mise gourmandait sa fille de près de huit ans car celle-ci insistait pour voir la mer. Un moment, penchée à la fenêtre de l’Hispano et voyant le ballet des hommes dans leur douloureuse tâche, elle dit à sa mère : « Oh m’man, viens voir !, ils jouent aux tombes » !

On comptera 2477 rescapés dans cette tragédie.

© Philippe Vandenberghe

Ce fait vécu et réel est toutefois inspiré pour la chute par Francis Carco et son livre : « Mémoires d’une autre vie » aux éditions du Milieu du Monde, Genève 1942, dont les chemins vont se croiser sur les routes de France sans qu’ils ne le sachent l’un et l’autre.

 Deux ans après, de retour en Belgique en 1942, papa au solarium de Ohain.
Mais les cauchemars vont durer encore 30 ans.

jeudi 2 février 2012

Terpsichore, Euterpe, Thalie et les autres...



Voyage à Cythère

Lutins, fées et  farfadettes
Glissent en creux secrets de fossettes
Au  doux parfum de noisette

Eau trouble en tourbillons
De cercles rapides du dongeon
Dans mes brumes profondes en rond

Cléome et cystes en mauve et acorus
Enjambées en danse rosées écrues
Toutes couleurs irisées et bues

D’Amour éternellement vécu
D’Athis à Galathée

Vert d’yeux
Que je t’ai…

En ce fructidor, duodécadi de l’an 2011

©Philippe Vandenberghe

Pas de rapport évident, sauf que j'adore Botticelli, la danse, la musique et l'harmonie que l'on peut y trouver.

dimanche 29 janvier 2012

Absence


Rudolf Anker (1867-1869): son 4ième enfant sur son lit de mort.

FOUDROYE

Que dire Asphodèle?
Que de cris muets et silencieux.
Que de pensées arc-en-ciel
Qu'un vide atroce et acéré.

Mal, oui mal, sans douleur
Mal d'une nuit écrasante et trouble
Mal de rêves joyeux et haletants
Pourquoi?

Pourquoi ce temps écartelé?
Pourquoi tant de distance proche?
Et ce murmure si doux, si paisible
En crissements rapides décomposés.

J'ai peur, oui j'ai peur.
De quel Achéron serons-nous séparés?
Méritons-nous l'Hadès?
L'Amour est Divin mais l'Olympe nous le permettra-t-il?

Que dire Asphodèle?
Que de fleurs. Divines blessures.
Que d'élans espérés en caresses vibrantes.
Quand le temps suspendra-t-il son supplice?

© Philippe Vandenberghe, hommage à Stéphane Mallarmé.

A tous nos Enfants espérés, vivants et perdus. 
On ne peut comprendre Stéphane Mallarmé (1842-1898) qu'en songeant à sa santé défaillante et à la mort de son petit garçon dont il se sentira toujours responsable, Anatole. Le Tombeau d'Anatole qu'il prévoyait d'écrire et dont ne subsiste que l'ébauche pathétique; Mallarmé, poète de l'inintelligible comparé aussi à Joyce et Nietzsche, il sut être fascinant et fasciné lui-même par la musique. Il fut d'emblée un classique éloigné des classiques, admirable... inimitable.

 Mallarmé, gravure de Paul Gauguin

lundi 9 janvier 2012


LA BALLADE DE JOHN RED GUN

Il est des tribus d’un seul et unique
Et lorsque John Red Gun était passé
Le scalp garnissait sa ceinture d’élan
De ce chasseur blanc ne restaient plus de Mohicans

De la plaine des bisons forts et multiples
Et lorsque John Red Gun était passé
Les cornes garnissaient sa toque d’élan
De ce chasseur blanc ne restait plus que le néant

Dans les bois de bouleaux, les squaws tragiques
Et lorsque John Red Gun était passé
De leur virginité elles garnissaient son froc d’élan
De ce chasseur blanc ne restaient plus que des tourments

Dans les Rocheuses d’un terrifiant grizzli
Et lorsque John Red Gun était passé
Les crocs dévorèrent la nuit le trappeur dormant
De ce chasseur blanc ne restaient plus que des dents

© Ph. Vdb.

Eté chaud



CATALOGNE

Terre verte, vignes, abricotiers
Le mas massif est là devant moi
La tour équerre des templiers.
Sur le roc brun-rouge est le toit,
De deux cent ans de ces métayers
Sur les hérétiques ont imposé la loi.

Terre verte, de vins et de fruits
Soulerie, chaleur, crissements
Des insectes irisés sont les bruits
Fugaces stridulements dans le vent
Des hirondelles dans leurs folles fuites
Rayent l’horizon d’un rayon d’argent.

Mer bleue, franges vermeilles, étranges
Baignades d’enfants nus et rieurs
Des voiliers blancs, canots oranges
Des parasols colorés sont les fleurs
D’un sable déambulé avant l’orage
A la casquettes, des glaces d’un crieur.

© Ph. Vdb.