mercredi 24 octobre 2012

Oedipus Rex

Autoportrait de Gustave Courbet

« Sigismund dort.
Et moi je soliloque sur son vieux divan pourri.

Ce matin encore, Sigismund dort.
Son vieux divan pourri est recouvert d’un cachemire miteux.
Depuis des années, trois fois par semaine, Sigismund dort.
Et moi j’empile les briques toutes les nuits, une par une, une par nuit sur la précédente.
Après chaque brique je me masturbe, doucement, plus vite, frénétiquement en hurlant et Sigismund dort.
Alors ce matin (comme tous les matins) j’ai pris mon cachet de Zuclopenthixol 200mg ; je vais encore avoir des suées et des nausées.
Mais sur son divan pourri, ça passe.

Alors ce soir je vais prendre mes cachets de Lormetazepam 30mg et  mes gouttes de Tranxene 20mg par 2ml. Je prends 6 gouttes, parfois 9 sans rien dire à personne, sauf à Sigismund ; mais il dort.
Ça ne va pas m’empêcher de me masturber, je m’en fous, demain Sigismund dormira.
Cette nuit, la colombe est venue se poser sur mon mur.
Toutes les nuits elle vient se poser sur mon mur, sur la dernière brique que je viens de poser, après m’être masturbé.
Après, je m’endors enfin.

Le matin, après avoir prit mon cachet de Zuclopenthixol 200mg, la colombe s’envole et je ne la vois plus de la journée.
Sigismund le sais, je crois, mais comme il dort, il n’y attache sans doute pas beaucoup d’importance.
Mais moi je l’aime ma colombe, elle est aérienne et liquide, elle vole autours de moi. Elle me protège en coulant sur moi toutes les nuits de ses ailes courbées.

Aujourd’hui, merde, ma vésicule fait encore des siennes. J’ai pris rapidement mon cachet de Cantabiline 200mg. Parfois je prends de l’Hebucol 200mg. Vous n’allez pas me croire mais c’est du jus d’artichaut.

Vous voyez, je protège bien mon mur de brique.
Et chaque nuit il monte d’une brique et la colombe vient s’y poser.
La terre a besoin de semence. Je dois la fertiliser toutes les nuits, alors la colombe est heureuse.

Et Sigismund dort… Je crois que je vais le tuer, pour qu’il dorme pour toujours ; je vais verser un flacon, que j’ai piqué à l’hôpital, de Sufentanil Mylan de 10µg par 10ml dans sa cruche d’eau en cristal de Bohème. C’est radical !»

« Voilà Monsieur de la Montagne Vermeil, cela fera 150 €. A mercredi pour notre prochaine séance. »
« Tien Docteur Duerf, vous ne dormiez pas ? »
« Mais non mon bon Monsieur de la Montagne Vermeil. Au revoir Monsieur de la Montagne Vermeil et à mercredi. »
« Au revoir Docteur Duerf, je me sens bien léger. »

(Quel imbécile ce Monsieur de la Montagne Vermeil, il ne connaît pas l’attention flottante)

Vaticination sur le « Crépuscule d’une idole ou l’affabulation freudienne » de Michel Onfray, Grasset 2011.
© Philippe Vandenberghe