jeudi 21 juillet 2016

Parkinson



Mark Rothko 1956

1er jour

Pourquoi ?
Pourquoi aujourd’hui ?
Pourquoi-pas ?
N’y a-t-il pas urgence, enfin ?

Donc il est temps d’écrire ; de poser un acte « littéraire » ; de donner du sens à la parole ; de laisser une trace, un signe.

Que dire pour ce premier jour. Que du banal ; en fait il ne s’est rien passé.
La tentation a été grande pour qu’il dépose le stylo qu’il a à peine trituré. Dire n’importe quoi, c’est facile, bavarder pour remplir le vide ; ne pas être dans le silence, mais l’écrire. Ecrire le silence, le bruit du silence, son chuintement, ses vibrations lentes ou rapides selon les saisons, basculement des solstices.

Il est seul depuis si longtemps, accompagné de son double détestable. Faire ce qu’il fait, c’est ne rien faire, alors en dire quoi et pourquoi l’écrire ?
Une trace ?
Pour qui ?

La page blanche a raison ; ce vide dit ce qu’il est puisqu’il n’est rien, ne fait rien, enfin si peu.
Et il n’est pas désespéré, pas même un peu.
Alors pourquoi ce journal ? Cet amoncellement de pages blanches reflet de sa vie banale, atrocement banale.

Donc aujourd’hui, c’est le premier jour ; une naissance peut-être après des années de silence.

Pour que ce mot, cette ligne, ce texte, puissent exister, il lui a fallu pourtant agir ; de manière irréfléchie sans doute, automatique - sans sens – à contre-sens de toute sa vie ; sa vie de rien ; sa vie de silence de n’être ni vu, ni entendu.

D’abord trouver le cahier. Un cahier blanc - un gros - sans lignes, sans marges, une partition vierge, même pas un soupir.
Trois cent pages blanches pour trois cent jours d’inaction.

Puis le stylo.
Un stylo comme on n’en fait plus, un stylo qui griffe le papier ; pour gaucher ou pour droitier, il n’en a cure, c’est pour ne rien écrire.

Noir, gros sous les doigts. Un point de nacre sur le capuchon ; l’attache, la bague et la plume sont en or 24 carats.

Un objet qui a du sens ! Pour une vie qui n’en a point.

Il doit pourtant commencer à écrire, c’est le premier jour, juste quelques mots fades dans ce cahier blanc. Chez lui les jours sont blancs ; chez d’autres les nuits sont blanches pour des jours noirs ; pas meilleurs que hier – juste une succession de moments – sans doute pas pire que demain.

Demain qui sera le deuxième jour !

Mais il lui faudra passer la nuit et quelle nuit ! Une nuit sidérale, sidérante, illuminée de quelques LED rouges et bleu ; seule image dans sa nuit noire.

(c) Ph Vdb


Mark Rothko après 1974