Violaine et son tiramisu.
Ce qui est beau dans les tragédies, c’est leur inéluctabilité.
Mais nous, nous savons ! Nous savons quoi ?
Ce qu’il ne fallait pas faire pour en arriver là.
Ou mieux, la décision que nous aurions du prendre pour ne pas en arriver là !
Souvent le tragique se construit sur fond d’amour impossible et de sacrifice subi plus que choisi.
Je pense à un tiramisu d’une vielle amie. Vous allez me dire : « mais avec quoi viens-tu avec ton tiramisu et le sens de la tragédie? ».
Oh sans doute j’aurais pu penser à cette vielle amie par une autre pensée, un autre souvenir. Mais non ! C’est le souvenir de ce tiramisu qui revient ; onctueux, crémeux au biscuit délicieusement humecté de Marsala et recouvert du juste saupoudrage d’un cacao amer et puissant.
Je dois vous avouer que par association d’idée je pense aussi à ces beaux saladiers qu’elle nous apportait garnis d’une magnifique salade de fruits frais et croquants baignant juste comme il faut dans un jus parfumé au kirsch que nous dégustions tous ensemble au bureau, le vendredi midi entre café et sandwich.
Car oui, Violaine* était une collègue de travail ; en fait une intérimaire.
Et presque tous les vendredis elle nous régalait avec ses gourmandises. Autant vous dire que l’esprit d’équipe était à son zénith.
Violaine, une adorable dame qui nous avait été conseillée par son mari - délégué commercial dans les essences et arômes alimentaires -, nous enchantait.
Le couple naviguait dans la cinquantaine et nos deux compères étaient aussi dissemblables que caniche et bobtail !
Mais je reviens à ce tiramisu qui nous apportait des larmes de joie. Celles de Violaine me semblaient d’une autre source, plus enfouies, plus cachées, plus secrètes.
Et elle en avait un de secret !
Et c’est le plus pur des hasards qui fit que je fusse là quand la tragédie survint.
Là, ce fut inéluctable et tragique ! Un coup de téléphone, tout simple, bref. L’appel que l’on ne souhaite jamais recevoir ; qui vous laisse brisé dans un temps suspendu mais où tout s’écroule.
Violaine venait d’apprendre que M…, son amour de jeunesse, son M… qu’elle avait rêvé d’épouser venait de décéder à l’hôpital d’une méningite foudroyante alors qu’ils devaient se revoir – juste une fois – quelques minutes entre deux absences de plusieurs années aux States pour M...
Sans doute le premier baiser après une rupture de dizaines d’années imposée par les parents de Violaine craignant une mésalliance et le dernier pendant cette courte escale avant de ne plus se voir.
Même ce dernier baiser leur avait été refusé par le destin.
Seul présent, elle pleura longtemps dans le creux de mon épaule et bien gêné, je ne sus que dire mais des années après ce drame, je pense encore à Violaine et à son tiramisu crémeux et onctueux qu’une possible mésalliance avait imposé à un mari chimiste, délégué commercial dans les essences et arômes alimentaires, un homme gentil mais simple, mais vraiment simple que c’en est inimaginable.
*Violaine, prénom d’emprunt, vous vous en doutez !
© Philippe Vandenberghe