mercredi 31 mars 2010

Un pyromane


Le miracle de Sainte Barbe

J’ai retrouvé hier cette fameuse bannière de Sainte Barbe dans un fond de tiroir. Vieux bout de velours vert délavé avec quelques restes de broderies et pendeloques. Une inscription en latin - illisible - et les restes décapités d’une pauvre Sainte en fil d’or tout décati.
J’ai repensé alors au Boulu.

« Le Boulu » ce vieux poivrot plus laid que le dernier des Casimodos, géniteur accidentel de deux filles simplettes mais gentilles qui de temps à autre se promenaient dans le village avec un chien tout galeux, puceux et calé dans une poussette d’enfant, affublé parfois d’une guipure de dentelle toute pisseuse de saleté.
« Le Boulu » nous avait étonnés au village, un matin d’hivers, quand il avait donné l’alerte d’un feu de broussaille rapidement maitrisé par les pompiers du coin.
L’étincelle dans ses yeux nous avait paru suspecte à plus d’un.

Quand le feu s’était déclaré quelque temps après dans sa baraque, nous n’avions plus douté des délabrements mentaux du personnage. Le gaillard avait même réussi à se casser la cheville en sautant du premier étage, d’une pièce d’où ne sortait pas un anneau de fumée.

Quelques temps plus tard, comme de coutume, le village s’était endormi bien tranquillement ce soir là.
Mais il ne fut pas question de dormir cette nuit là.
Ma ferme se situant en face de l’église au delà du monument aux morts des deux guerres – un poilu, fusil en avant, tourné vers l’est d’un pas martial - , j’entendis vers trois heures du matin des craquements en cascade comme des pétards de carnaval.

Le temps que j’émerge de mon sommeil, déjà des sirènes nous avertirent qu'en fait de carnaval, les événements seraient moins drôles qu’un bal populaire.
En quelques minutes le temps fut suspendu et nous fûmes nombreux à converger rapidement vers l’édifice qui s’enflammait. Directement les hommes du village dont je fus, sortirent les trésors de l’église déjà ancienne puisqu’elle avait été bâtie par le Chapitre d’Orval au XVIIème siècle.
A  folles enjambées, à bout de bras, les bancs, prie-dieux, stalles, autels et maître autels, chasubles et bannières, tout le saintointoin baroque ou rococo se retrouvèrent cul par-dessus chaise dans mon fenil grand ouvert sur le brasier du saint office lequel, maintenant, pétaradait des milles et une ardoises en schiste qui volaient dans la rue éclairée par les volutes rougeoyantes des flammes de tous les feux de l’enfer.

« Le Boulu » bien excité devant un tel spectacle dantesque, qu’il avait lui-même provoqué, fut rapidement appréhendé par les hommes du feu et la police arrivée peu après.

Dans le plus fort de l’incendie, nous vîmes dans mon fenil le plus incroyable tableau qui puisse avoir été peint par un Pirandello fou de cubisme psychédélique ; un amoncellement de mobilier sans queue ni tête enluminé des flammes et des éclats bleutés des gyrophares.

Bien des femmes du village pleuraient à chaudes larmes et tous nous fûmes bien choqués d’un tel désastre.

Après quelque cinq années de travaux de restauration, l’édifice et son contenu furent rendus au culte quasi à l’identique de ce que les vieux du village avaient connu.
Le seul souvenir qui me reste de cette folle nuit est ce misérable bout de tissu retrouvé dans un tiroir : la bannière de Sainte Barbe, sainte patronne des artificiers, artilleurs et pompiers.
Un vrai miracle !    


© Ph Vdb

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