mercredi 6 août 2014

Fusion-confusion


Andy Warhol, "Big Electric Chair" 1967

Mes crimes parfaits

J’ai supprimé Claudine il y a quelques années.
Je cherchais le crime parfait et je voulais y trouver une réelle jouissance.
Pourquoi Claudine ? Je ne l’ai jamais su mais je l’ai réussi mon crime parfait. Et en plus j’ai fais ce qu’il fallait pour que son amant soit inculpé et je vous le donne en mille, condamné – pauvre innocent.
Le mari de Claudine avait un alibi, enfin, je m’étais arrangé pour qu’il en ai un, son amant lui n'en avait pas et en plus, mécanicien sur des voitures de rallye le mic-mac que j’avais apporté au circuit de frein a dirigé les enquêteurs directement vers ce bellâtre stupide.
Claudine s’est envolée avec sa Morgan dans un des tournants du massif de l’Esterel.
Pfuuit, elle a plané la Claudine jusqu’au fond d’une combe.
Difficile, difficile…pour les pompiers ; surtout qu’il a fallu d’abord éteindre le début d’incendie dans le maquis !

Bon l’année suivante j’ai remis ça.

Un cuistre imbu de sa personne m’avait irrité lors d’une promenade sur les quais de Quimper.
Je lui ai fait la peau dans une anse de Gwenvinec. Massacré avec l’ancre de son bateau, vous voyez ces ancres avec deux triangles affutés sur le côté et lourd en plus. Là j’ai fait dans le gore, étripé sur le fond de sa cabine sur le tek immaculé et les intestins déroulés sur les banquettes.
J’ai concocté une histoire abracadabrante de rivalités dans la direction des « Biscuiteries de Quimper » avec des héritiers jaloux les uns des autres dont tous avaient les plus sordides mobiles pour trucider le macho.
Y-s’ont tous été inculpés à un moment ou à un autre pour que l’enquête finisse par conclure à un accident. Un bordage avait fait trébucher l’hurluberlu dans le fond de la cabine juste sur l’ancre qui trainait là. Oh mortelle négligence.

La troisième année, je me suis dit qu’une Baronne hachée sous un tracteur entre deux rangs de vigne pouvait me réjouir.

Franchement là, je me suis bien amusé !
Il faut savoir que contrairement aux idées reçues, le bordelais, en dehors de ses châteaux achetés les un après les autres par des chinois, est une région pauvre. Donc je me suis arrangé pour guider les soupçons des enquêteurs vers des illégaux employés comme saisonniers.
Comme la vieille Baronne n’était pas commode, ça semblait plausible.
Finalement, c’est le régisseur du Domaine – Henri, un grognon de première classe - qui s’est fait choppé. Il était le dernier à avoir approché le tracteur fou dont les commandes avaient lâchées et qui avait haché la Baronne et quelques rangs de vignes avant de s’immobiliser dans un fossé les roues en l’air tournant encore dans le rugissement du moteur emballé.

Les cinq années qui ont suivies, rebelote, j’ai remis le couvert et encore cinq crimes parfaits.

Je suis vraiment un génie tout-puissant ! Dieu aussi a ce pouvoir de vie et de mort sur les hommes… Je suis Dieu !

Ce soir, je travaille sur mon crime parfait de l’année. J’étudie la chose, j’aime la perfection mais surtout les embrouilles insolubles ; celles où un innocent passe derrière les barreaux.

Je travaille dans mon bureau, il est spacieux décoré avec des meubles de prix. Des créations de Charles Eames, de l’acajou recouvert de galuchat, des piétements en acier froid et lisse.
Sur un petit sous-verre en jade, un gobelet à whiskey rempli d’un bon doigt de Bunnahabhain 23 ans d’âge.

Quelle joie de prévoir mon prochain crime parfait.

Sonnerie du téléphone. Bon, et ma tranquillité. Zut, zut et zut !

« Allo… »
« … »
« Ah, c’est toi ! »
« … »
« Non » « Non, pas encore ; tu ne  vas pas ma casser les pieds, on est dans les temps, merde ! »
« … »
« Ok, tu auras ça dans trois semaines, t’inquiète pas ! »
« … »
« Bon, salut et n’ai crainte, je te rappelle au plus vite – Salut »

C’était mon éditeur ; chaque année c’est la même chose. Un jour, il va tellement m’énerver que je vais rater mon crime. Le grain de sable, le petit bidule dans l’engrenage et tout part en quenouille.

Je gagne trop d’argent avec mes bouquins ; je ne peux pas me permettre une erreur.

Pas d’erreur avec mes crimes parfaits. 

© Philippe Vandenberghe 

lundi 24 mars 2014

La boulangerie Mirabelle


Des « Rawettes ».

23 avril 1944, 10h40 chez Madame Mirabelle.

« Boulangerie-Pâtisserie Mirabelle » sise au coin de la place S. au sud de Bruxelles.
Une maison isolée, une du siècle dernier, pourtant le quartier n’est pas ancien et tout n’est pas construit.

Dans la file.
Nous chuchotons entre nous de nos maris.
« Ton Jules t’a écrit ? Et Hector ? Ah la Croix Rouge m’a envoyé de ses nouvelles. »
Un doigt sur la bouche,
« Chuut, parle doucement Germaine, tu sais, deux pilotes sont passés chez le curé, ils repartent demain pour Lille avec l’ambulance d’Oncle Ernest »
« Voilà un timbre Madame Mirabelle, merci pour le pain, vous n’auriez pas une rawette en plus, j’ai ma nièce à la maison ? ».
Madame Mirabelle ; grosse, poitrine opulente et arrogante, grande aussi, le tablier blanc immaculé cassant d’amidon comme sa voix forte, une robe noire, de luxe quand même et quand elle ne sert pas à la boulangerie de son mari, le gros Sylvain Mirabelle, homme chafouin et hypocrite, elle met de fameuses bagues aux doigts.
« Non! Madame Hortense, je n’ai pas de rawette ; Sylvain et moi suivons les règlements de la Kommandatur à la lettre, nous ! ».

On les déteste les Mirabelles !
Mais bon, il n’y a pas d’autres boulangeries dans le coin.

Depuis quelques mois les « voitures noires » arrivent souvent la nuit dans le quartier. Ces messieurs en gabardine noire et feutre sur la tête viennent tout contrôler sans ménagement.
Le curé a été solidement bousculé. Ils n’ont rien trouvé.
L’autre nuit, les Van Steenbrugge se sont retrouvés à la prison de Forest ? Quelques feuilles dans la cave ? Un oubli ? Les reverrons-nous ? Les deux gamins du couple ont été recueillis par les Lardot.
Dans la file chez Madame Mirabelle, on finit par se rendre compte qu’elle est muette sur les « évènements », mais pas sourde…et puis, pas de rawette, ça fait un peu trop !

Dimanche dernier on a parlé au curé de ce « mic-mac ». Trop de coïncidences. Trop de tristesses dans notre cité de femmes, d’enfants et de vieux. Ah si nos hommes étaient là !
Certains sont encore en Silésie comme prisonniers de guerre, d’autres ont été raflés comme STO et travaillent comme des bêtes dans des usines de Bavière ou de Poméranie.
Tout ça est bien triste.

Hier, Monsieur le curé m’a dit de chuchoter un bobart chez Madame Mirabelle et un autre deux trois jours après.
Ça n’a pas trainé. La nuit suivante, chaque fois les « voitures noires » ont déboulé.
Choux blanc, nada, rien trouvé ! Rien !
Ces messieurs sont chaque fois repartis furieux.

Une semaine est passée, puis deux semaines.

30 mai 1944, 6h20.

Tonnerre, fracas, craquement et dans les minutes qui suivent les pompiers.

La « Boulangerie-Pâtisserie Mirabelle» n’existe plus. A plat la baraque, quelques poutres et le cœur des gravats qui crache des flammes alimentées par la chaleur des fours qui ronronnaient encore il y a une heure. Plus personne. Monsieur et Madame Mirabelle transformés en lumière, puis réduction noirâtre non identifiable !

Des briques jusqu’au milieu de la place, du verre brisé de toute la vitrine, des éclats de marbre et des dragées rose et bleues, diamants indécents au milieu de cette masse carbonisée… et accroché au lampadaire intact le plus proche de « l’attentat » un tablier blanc taché et troué mais cassant d’amidon.

La seule « rawette » laissée par Madame Mirabelle.

26 octobre 1945, 16h50.

Monsieur Van Steenbrugge est revenu d'Allemagne presque méconnaissable et bien maigre, "ratatiné". Il a récupérer ses garçons avec des larmes contenues. On n'a jamais revu Madame Van Steenbrugge.

© Philippe Vandenberghe, le 23 mars 2014.

Merci à une de mes voisines pour cette histoire « presque » vraie !