dimanche 28 février 2010

Conte fantastique


La dernière danse de « Captain Jack »

Comme souvent en toutes circonstances, nous ne connaissons certaines personnes que via des liens éloignés de parenté ou qui ne sont que des connaissances de connaissances et encore… d’oui dire en oui dire, d’affabulation en affabulation. En fait nous ne les connaissons tout bonnement pas.

Et pourtant, j’ai connu « Captain Jack ». Oh, l’espace d’un instant. Un instant tellement fugace que vous n’allez pas me croire !

« Captain Jack » était le parrain du gamin d’une connaissance. Nous y voilà à l’affabulation. Mais tout ce que je vais vous raconter est vrai, de A à Z.

Situons les personnages : la connaissance était un vague voisin plus souvent imbibé de boisson de Bacchus que de thé glacé, le gamin était l’ami, d’un ami, d’un ami et gentil, je dois le reconnaître.
Quant au parrain, il n’était pas capitaine, mais, vieux célibataire, il avait servit des années comme steward sur une ligne de paquebots de plaisance en mer Baltique.
La « Royal Swedish Line ».
Il y avait dansé des années de bâbord à tribord et plus accessoirement fait danser des vielles sexas aux décolletés gourmands et aux permanentes mauves pailletées d’argent, de rumba en samba en passant par des cha-cha-cha suivis de quelques valses et fox-trot.
Les danses latinos n’avaient plus de secrets pour lui.
N’avaient, car le bougre avait cassé sa pipe, définitivement, bêtement, à terre, devant son immeuble, en traversant la rue, avec son bichon maltais. Renversé par un bus !
Le bichon en profita d’ailleurs pour se faire la malle.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, le gamin de la connaissance fut le seul légataire universel du « Loup de mer ». Héritier de l’appartement, des meubles lourdaux, bibelots et bambocheries, de trois chats galeux et d’un « Gigantesque Aquarium Exotique ». L’ensemble était en toc, kitch, affreux, laid ; le royaume du style
« hispano-brabançon ». En fait le vieux était très sûr de son goût, mais n’avait pas le goût très sûr.

Le gamin voulant récupérer l’aquarium, seul objet qui peut fasciner un gamin, nous organisâmes un déménagement en bonne et due forme car le vague voisin n’était point motorisé.

Dans la place et tout en transvasant les poissons dans de multiples bidons prévus à cet effet, le père du gamin nous faisait remarquer pour chaque objet accumulé, la fortune du « parrain ».
Une grande tapisserie représentant une « Chasse », cerfs et cors au point de croix, devait représenter une manne de dollars incalculable aux yeux de mes comparses.

Dans l’enthousiasme de tant d’ors et de richesses, tout à coup le voisin, un peu gris déjà, me demanda si je voulais voir « Captain Jack ».
Interprétant mon silence poli comme acceptation enthousiaste, je fus littéralement poussé dans le salon interdit aux dudit chats galeux; pièce fermée, sacrée, feutrée de tapis et velours épais, sombre et traversée de rais de lumières diffusées pas un store en partie clos.

Là, bêtement figé au milieu de la pièce, incrédule, je vis le voisin entamer une gigue folle - clamer de manière fortement avinée :
« Qu’il est riche Parrain !» en cascade verbale et rocailleuse - agripper sur la cheminée un vase que je ne vis pas sur l’instant mais dont le couvercle allât valdinguer sur une collection de petits verres en cristal de Bohême posés sur un guéridon en malachite, les brisant sur le coup en une myriade d’étoiles colorées et scintillantes.
Et, éjecté du vase, une urne funéraire en fait bien réelle celle là contenant les cendres de parrain, se vidant, en un nuage de poussière crissant au rythmes de « cucarachas » imposé par l’hôte du lieu.
Un beau mouvement au tempo endiablé d’un barman fol-dingue, il eut tôt fait de vider l’urne.
Le nuage de cendre se répandit dans toute la pièce dans un halo mordoré, spiralé en volutes irisés, nous entoura tous, spectateurs aux yeux écarquillés hallucinés d’une dernière aurore boréale... sur la Baltique.

... et « Captain Jack » entama sa dernière danse.

© Ph Vdb

Aucun commentaire: