dimanche 18 septembre 2016

Les ombres


"La caverne de Platon" attribué à Gilles Coignet XVIème siècle

2ème jour

Il a attendu toute la journée pour écrire ce qu’il n’aurait pu faire ce jour ; cette deuxième journée.
Cette journée, il l’a voulu autre pour écrire une autre journée.
Il est sorti sur l’agora, lui agoraphobe – lui l’Un – l’unique parmi les autres – la multitude.
Pourquoi-pas ?
A nouveau la trace – le chemin, la voie.
Ses pas sur le fin gravier dessinant une fractale au gré de sa révolution dans l’espace, de son évolution dans la foule.
Evitant l’un, évitant l’autre pour revenir dix fois à son point de départ.
N’écoutant personnes.
Qu’on-t-ils dit ? Qu’on-t-ils à dire ?

Pourtant cette foule ; cette multitude bourdonne, volubile, chante, muse et murmure, se gargarise ou éructe.


Sophisme.
Tous ces uniques n’échangent rien. Le brouhaha est silencieux mais d’une clameur inaudible.

C’est le regard qui finit par le porter ; lui, dans cette foule ; des hommes et des femmes, des enfants nus, un chien et les sept chevaux de l’archonte.
Toute cette masse déambule, écoute ce qui n’est pas dit, ce que l’on ne peut entendre, ce qu’ils ne peuvent savoir.
Des ombres sur la paroi en reflet de sa conscience dans sa prison caverneuse.

De rues en rues, des taxis jaunes soufre zébrés de lignes couleur de pistache, un appendice boursouflé sur le toit avec ces lettres creuses, T.A.X.I.,  traversent l’agora en klaxonnant et déversent des humains pour en reprendre d’autres toutes les heures, toutes les minutes presque et repartent vers les confins de la cité.
Et ce n’est que pour eux que Socrate a bu la cigüe. 

Toute la journée il a voulu accumuler les mots, les lignes, les textes qu’il va retranscrire dans son cahier ; qu’il reporte ce soir dans son cahier ; sur la page du deuxième jour de son cahier.

Ce soir il se désespère à écrire quoique ce soit, alors cette page, il va la couvrir de spirales, de volutes, de lignes mille fois entrecroisées cernées de colonnes, de pilastres, de blocs éparpillées pour, en une folle métamorphose, faire apparaître un décor de Piranèse, des escaliers de va et viens issus de sa pensée délirante.


Décidément, il n’a pas eu une bonne idée ce deuxième jour. Il phantasme à outrance.
L’archonte flotte dans ses rêves.
Un jour de folie qui ne remplira pas son cahier blanc.

Demain qui sera le jour suivant.

(Ph Vdb)

Photo AFP

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