mardi 7 février 2012

Mon père

Le RMS Lancastria

Souffrir à 15 ans.

On dit souvent que la réalité dépasse la fiction et c’est sans doute vrai, mais la réalité peut être dite par d’autres qui ne l’ont pas vécu. Alors je vais vous la dire cette réalité ; à la place d’un être qui m’est particulièrement cher; mon père.

En juin 1940, papa a 15 ans et après de nombreuses tribulations, drames, visions de cahots  dans une France en déroute, sa mère, sa sœur et lui, arrivent à Préfailles.
Préfailles est alors un joli village donnant sur l’Atlantique, au sud de la Bretagne. Une route qui s’appelle maintenant « Route de la Pointe Saint-Gildas » mène à l’anse du Boucau, qui elle-même fait face à Saint Nazaire. En juin 1940 il fait particulièrement beau et cette pointe sud de la Bretagne fait rêver les gamins à des sports nautiques plus qu’aux tracas de la guerre.

Le soir du 16 juin, le RMS Lancastria quitte Saint Nazaire avec à son bord plus de 3000 soldats principalement britanniques (sans doute beaucoup plus, mais les chiffres sont toujours gardés « secret militaire » jusqu’en 2040). Ils doivent être rapatriés vers la Grande Bretagne suite à la débâcle subie devant les armées du Reich. Ce paquebot de 170 m de long a été lancé en 1922 par la Cunard Line.
Dans la nuit du 17 juin, quatre Junkers Ju 88 bombardent le navire et pour le malheur de ces pauvres soldats, une des bombes pénètre dans la cheminée et fait exploser la salle des machines. Le bateau coule en 24 minutes. Dans les heures qui vont suivre et au gré des marées, 1728 victimes seront rendues par la mer.
La majorité des victimes seront rejetées sur les plages de la Pointe Saint Gildas, mais une centaine sera rejetée sur les petites plages de Préfailles en contre bas des corniches de cette belle station. La municipalité devra alors réquisitionner les hommes, peu nombreux, pour récupérer les dépouilles des soldats morts et les inhumer dans l’urgence. Papa fut de ces quelques jeunes hommes qui durant trois jour vont pleurer en silence en accomplissant cette triste tâche. Des pleurs qui vont le hanter durant des années.

 Quelques rescapés

Le dernier jour, parmi les nombreux réfugiés qui continuaient d’arriver pour descendre sur la Vendée, une Hispano-Suiza venant de La Plaine-sur-Mer s’arrêta aux abords des lieux du drame. La plaque de la voiture indiquait une origine parisienne. La voiture était remplie de bagages les plus divers et à l’arrière du chauffeur une dame bien mise gourmandait sa fille de près de huit ans car celle-ci insistait pour voir la mer. Un moment, penchée à la fenêtre de l’Hispano et voyant le ballet des hommes dans leur douloureuse tâche, elle dit à sa mère : « Oh m’man, viens voir !, ils jouent aux tombes » !

On comptera 2477 rescapés dans cette tragédie.

© Philippe Vandenberghe

Ce fait vécu et réel est toutefois inspiré pour la chute par Francis Carco et son livre : « Mémoires d’une autre vie » aux éditions du Milieu du Monde, Genève 1942, dont les chemins vont se croiser sur les routes de France sans qu’ils ne le sachent l’un et l’autre.

 Deux ans après, de retour en Belgique en 1942, papa au solarium de Ohain.
Mais les cauchemars vont durer encore 30 ans.

4 commentaires:

Pivoine a dit…

Oh! Oh! c'est papa qui sera content d'être le héros de cette nouvelle! Préfailles, c'était aussi dans la maison des Boucherit, frères, dont celui des Editions qu'on a plus ou moins connues...

Sinon, le résultat de ta nouvelle est vraiment étonnant ! c'est comme le contenu de deux ou trois tiroirs qu'on réagencerait complètement, d'une manière vraiment imprévisible & improbable...

Mais ça donne un résultat étonnant, vraiment!

Anonyme a dit…

J'ai vu la version papier chez papa hier. J'aimerais bien connaître la partie "Carco" de ton texte, ou la référence, peux-tu l'expliquer dans une note ou un commentaire ?

(M.F.)

Le Banquet de Philippe a dit…

Francis Carco est curieusement absent de la plupart des anthologies et encyclopédies, mais Wikipedia heureusement sauve ce vide injuste. Eliane, sa seconde épouse qui est juive va les forcer en 1940 à crapahuter sur les routes de France pour enfin pouvoir se réfugier en Suisse. Dans la préface de ses "Mémoires d'une autre vie" il relate un petit fait dont j'ai récupéré l'esprit pour la chute de ce texte illustrant une tranche de vie de papa. "Réalité & Fiction..."

Anonyme a dit…

Merciiii !!!

(M.F.)